La nourrice et Marie Noël

la Maïssaude

L’auteur de ces lignes ose pénétrer dans le jardin fermé de la poétesse d’Auxerre Marie Rouget dite « Marie Noël » ; ces notes ont été recueillies dernièrement auprès de la famille de la nourrice, à Usy, où le souvenir de Marie Noël est resté vivant.
Le prestige de la nourrice morvandelle est à son apogée sous le second Empire. On ne tarit pas d’éloges sur sa santé, la pureté de son sang, son teint frais et vermeil dû à l’air et aux repas frugaux de ces pays granitiques.
A l’origine de cet engouement,  peut-être y-a-t-il un grain de snobisme. En effet, plusieurs petits enfants du roi Louis-Philippe ont eu pour nourrices des femmes de Quarré-les-Tombes.
Par cette nouvelle situation, les nourrices sont choyées, elles sont coquettement habillées : belle robe, jupon blanc, lavallière, et coiffe ornée de larges rubans de couleurs variées en velours de soie ou en moire. Les cadeaux affluent, bottines pour elle-même, vestes de drap pour le mari, malles de linge, etc.
On comprend que tant de jeunes femmes issues de familles de petits exploitants se soient exilées, cinq ou six mois après la naissance de leur enfant, laissant celui-ci à la garde d’une grand-mère ou d’une voisine.
C’est aux nourrices que l’on doit l’amélioration de l’habitat. Mais tout cela n’a été acquis qu’au prix de longues et parfois douloureuses séparations : au pays, les enfants s’élèvent tout seuls et le mari se débat, solitaire, avec les récoltes. Mais l’enrichissement n’a pas été que matériel : l’éloignement des nourrices a assuré une forme d’émancipation à la femme morvandelle qui a rapporté chez elle des habitudes d’hygiène et de confort. Surtout, des liens d’affection très durables, dont témoignent tant de correspondances, ont été tissés entre la famille de la nourrice et la famille des nourrissons, s’étendant sur plusieurs générations.
Dans ce contexte, la « Maïssaude ou la Joachime » fut la nourrice de Marie Noël : Marie Louise Rappeneau, fille du vieux « maïssaud » (maréchal-ferrant) d’Usy, fut mariée à Jean-Baptiste Joachim, cultivateur d’Usy, famille moyennement aisée, puisque Marie Rouget dénombrera chez la nourrice un certain nombre d’animaux de ferme.
En février 1883, naissaient à Usy chez les Joachim, une fillette Annette Mélie et à Auxerre chez les Rouget, Marie Mélanie Rouget. Selon la coutume,  le ménage bourgeois d’Auxerre recherchait une nourrice morvandelle pour leur enfant. C’est sur une annonce de journal que la jeune maman d’Usy s’engagea et alla « porter son lait » pour nourrir la fille de Mr et Mme Louis Rouget.
Marie louise Joachim resta trente deux mois à Auxerre. Cela permit l’agrandissement, sinon l’amélioration la maison des Tréaux qui gagna un étage en perdant son toit de chaume : « Cette longue chambre ouverte aux deux bouts par une fenêtre, dont l’on regardait toujours Vézelay et ses tours lointaines ».   
Dès 1891, Marie Rouget vint en vacances chez sa nourrice. La même année pour la venue du quatrième enfant de la famille Rouget, on demanda d’envoyer balles d’avoines et fougères pour le berceau du nouveau-né. « La nourrice prit sa faucille et partit avec moi. Nous descendîmes par le Crot la route qui mène à  Précy, nous primes un chemin à gauche. Où allait-il ? Où allions-nous ? Ce fut dans un champ caché, oublié de tout le monde ».
1924 : un brutal accident de la vie paysanne – une vache en furie - vint frapper la maison d’Usy et Marie Noël. La pauvre nourrice souffrira pendant plusieurs semaines : « On l’a enterrée hier… une calme et plaintive cérémonie de campagne, baignée de la paix matinale des champs ».
Entre 1883 et jusqu’en 1961, date de son dernier pèlerinage à Usy, au témoignage de Madame Angèle Berthier, Marie Rouget se fit souvent conduire sur les « landes » et autres « bois » d’Usy.
Marie Rouget quitta son cher Usy, emportant sa douleur et sa mémoire. « C’est elle que je revois avec sa bonne figure qui louchait… je me souviens du chaud de son tablier autour de mon cou quand j’avais froid, de sa grosse main rassurante dans la mienne quand les sentiers sous bois, le soir, commençaient à me faire peur ».
Jusqu’à sa mort, Marie Rouget entretint une correspondance avec la famille Berthier d’Usy.

« Ce fut dans un champ caché, oublié de tout le monde où nous n’avions jamais fait les foins, ni la moisson, ni même jamais mené les vaches. Il était là tout seul sans rien faire.
Le bonheur, qui n’est nulle part, un instant fût là, dans ce champ et aujourd’hui encore je le sais, j’en suis sûre.
Il fut là et s’en alla, je ne l’ai jamais plus revu ».
Marie Noël – Petit jour et Souvenir du beau mai (stock)
Sur ces quelques mots, Marie Rouget retrace les souvenirs de son passage à Usy.
 
L’année 2017 verra la commémoration nationale du cinquantenaire de la mort de Marie Noël. En effet plusieurs villes dont Domecy-sur-Cure se verront confiées une exposition itinérante et des conférences sur son œuvre.
 
Pourquoi Domecy-sur-cure ?
 
Chaque année, la famille Berthier recevait de Marie Noël, des « lettres de bonne année » destinées à sa grande famille, les Berthier, les Doux, les Cuillère, les Joachim, les Rappeneau dans la maison des roches où habitait Madame Léon Berthier.
 
Trois générations sur les six que fréquenta, avec tant de fidélité notre poétesse pendant près de quatre-vingts ans.
 
Nulle part ailleurs on honore mieux qu’à Usy notre illustre auxerroise. Mais on l’honore d’une certaine façon ! pas dans ses œuvres qu’on ne saurait trouver ici mais dans les preuves, qu’elle n’a cessé de donner, de son vivant, à l’attachement au village et au terroir, comme une fille du pays.
 
En février 1883, Marie-Louise Rappeneau mit au monde une fille à laquelle on donna le nom d’Emilie, et c’est avec cette Emilie que l’histoire va commencer.
 
En effet, à la même date (le 16 février), naissait à Auxerre, une autre petite fille à laquelle on donna le nom de Marie-Mélanie. Le père était M. Louis Rouget, professeur de philosophie au collège d’Auxerre, et qui avait épousé, trois ans plus tôt sa cousine Emilie Barat.
 
M. Rouget fit, par l’intermédiaire du journal local, appel à une nourrice campagnarde.
 
C’est en lisant cette annonce que les Joachim d’Usy, désireux de faire rentrer un peu d’argent dans la caisse familiale, décidèrent d’envoyer « à la ville » la Marie-Louise qui fut acceptée.
 
Ainsi la fille du vieux « Maïssaud » d’Usy devenait la mère nourricière de Marie Rouget qui s’attachera à elle puis, petit à petit, s’incorporera dans cette famille.
 
Emilie épousa en 1900 un cultivateur nommé Louis Cuillère. Le couple s’installa à Précy-le-Moult.
C’est là que naquit le 26 mars 1902 leur fille Angèle. Voilà donc la boucle des six générations fermées. Angèle épousa un cultivateur d’Usy, Léon Berthier et ils se sont installés dans la petite maison « des Tréaux » à Usy, sur la route de Menades.
 
C’est dans cette petite maison fermière que la petite Marie-Mélanie d’Auxerre vint tant de fois pendant son jeune âge pour se revivifier, respirer l’air pur des vallons et des bois et aussi puiser dans la campagne ses inspirations secrètes et mystérieuses qu’elle nous conte elle-même : « Nous sortîmes du village (Usy), du côté où les maisons qui s’en écartent s’appellent les Roches et nous entrâmes dans le bois. Le bois ! pour la première fois j’entrais dans le bois. Je n’avais encore jamais vu que celui du petit Poucet, mais je le reconnus ».
 
C’est dans cette maison des Tréaux que naquirent les quatre enfants du couple Berthier, deux filles mariées aux frères Doux, et deux fils dont l’un René a pris dans la même maison la suite de l’agriculture familiale.
 
C’est là, dans ce cadre familial où elle a vécu dans sa plus tendre enfance que nous avons évoqué les souvenirs de Marie Noël.
 
Elle y revint chaque année jusqu’en 1959. Puis sa santé chancelante et surtout sa vue déficiente ne lui permirent plus de tenter le voyage.
 
Elle écrivait souvent mais le volumineux courrier n’a pas été conservé « faute de place ». Il reste quelques lettres, les dernières adressées à madame Léon Berthier.
 
Sa dernière lettre est du 5 janvier 1967.
« Ma chère Angèle,
Je suis toujours bien heureuse d’avoir de vos nouvelles en recevant vos bons souhaits. Je vous situe, à présent dans votre maison des roches, et je pense que c’est René qui habite celle des tréaux, sur la route de Menades où je reviens souvent en souvenir.
J’aurais aimé retourner une fois encore à Usy ; mais je ne l’espère plus. Je suis désormais à peu près aveugle et je ne sors plus qu’avec peine… sans rien voir autour de moi, ce qui n’encourage pas à la promenade.
Je vous souhaite à tous, parents, enfants, petits-enfants, une bonne année, une bonne santé, une bonne vie au vieux pays.
Je vous embrasse bien affectueusement ».
Cette lettre empreinte de tristesse et de nostalgie est fort émouvante, c’est celle d’une sorte d’exilée qui voit venir son heure dernière et qui sait que jamais elle ne reviendra au « vieux pays ».
 
Marie Rouget conservera l’amour profond d’un terroir commun et une fidélité qui ne s’est jamais démentie pour sa grande famille adoptive.
 
 Jean-Luc Van-DORPE

Source :

Mon village sur Cure
Archives Familiales