Constance RAPPENEAU
Dite la mère My
Résistante
1879-1943
En 1993, à Domecy-sur-Cure, plus personne ne se souvient de Constance Rappeneau. Une lettre, reçue par la municipalité va tout changer, et va permettre de faire connaître l’histoire de cette femme au destin extraordinaire et tragique.
 
Constance voit le jour le 3 janvier 1879 dans une petite maison du village de Cure située un peu au- dessus de l’école. C’est le sixième enfant d’Edme Rappeneau et de Marie Prévotat son épouse. Marié le 19 janvier 1862 à Saint-André-en-Morvan, le couple a d’abord donné la vie à une petite fille, Hortense Maria, née en 1864. Puis, sont venus trois garçons : Marie Pierre en 1866, Léon Albert en 1869 et Louis Charles, qui ne vivra que 6 mois en 1871. Trois filles ont suivi : Louise avant Constance en 1874, et Emélie, qui sera surnommée Jeanne, la benjamine née en 1883.
 
La famille d’Edme Rappeneau habite la commune de Domecy-sur-Cure depuis longtemps. Son père Louis demeurait dans le petit hameau des Bois de Cure, situé dans la montagne, en face du village de Cure. Le patronyme Rappeneau est très répandu dans les environs. Par exemple, la mère d’Edme, Marie-Jeanne, avait elle aussi Rappeneau pour nom de jeune fille.
 
Comme la grande majorité des habitants de Cure, la famille de Constance Rappeneau est très modeste. Son père Edme est journalier, c'est-à-dire ouvrier agricole rémunéré à la journée. Pour survivre, les Rappeneau entretiennent avec soin un petit jardin, situé tout près de leur chaumière où Edme apprend à ses fils à faire pousser toutes sortes de légumes. Pour les enfants, comme pour les parents, la vie est difficile et aucun luxe n’est permis.
 
La famille Rappeneau occupait une partie de cette maison alors divisée en deux.

Pour trouver du travail et ainsi échapper à la pauvreté, les enfants Rappeneau émigrent tout jeunes en région parisienne. Marie-Pierre, Léon Albert et leur beau-frère François Baudin, qui s’est marié avec Hortense Maria, deviennent maraîchers à Montrouge, Villemomble et Chelles. Ils sont bientôt rejoints par Constance, puis par Jeanne, qui deviendra infirmière.
 
A Paris, Constance Rappeneau est d’abord femme de chambre. En 1900, elle réside dans le seizième arrondissement au 10 rue Pierre Guérin. Elle rencontre un cocher belge, originaire de Waregem en Flandres, Rémi Adolphe Bohez, qu’elle épouse le 22 décembre 1900 à la mairie du même arrondissement. Bientôt, le 11 avril 1901 naît un fils, Roger Charles Henri qui semble être resté le seul enfant du couple. 
  
Dans le Paris insouciant de la Belle Epoque, la vie paraît s’écouler paisiblement pour les Bohez. Mais, le déclenchement de la guerre va bouleverser l’existence de Constance Rappeneau. Son frère, Léon Albert, est mobilisé dès le début du conflit. Il est bientôt rejoint sur le champ de bataille par son fils Denis, qui vient d’avoir 20 ans. Malchanceux, le jeune Rappeneau est tué presque tout de suite le 21 juin 1915 à la bataille de Souchez, lors de l’offensive en Artois. Courageusement, Jeanne Rappeneau, la sœur de Constance, soigne les soldats blessés et malades, mais, elle contracte bientôt une pneumonie grippale qui l’emporte, à Chelles, le 2 novembre 1918. La victoire arrivée tout de suite après, ne console pas l’énorme chagrin éprouvé par Constance et sa famille.
 
Mais, Constance ne se laisse pas aller. Ayant fait quelques économies, elle reprend un restaurant situé au Kremlin-Bicêtre, tout près de Paris. Le couple Bohez ne s’entend plus. Leur mariage est dissous le 26 octobre 1929 et finalement, Constance et Rémi divorcent le 6 mars 1930 à la mairie du seizième arrondissement. Constance Rappeneau achète alors un restaurant à Vitry-sur-Seine qu’elle vend en 1935 pour acquérir « l’Aquarium Bar » qui se trouve au 121 boulevard Sérurier dans le dix-neuvième arrondissement. Elle débaptise le petit café-restaurant pour le nommer « Chez My ». Ainsi, pour tous les habitués, Constance devient « La mère My ».
 
Le bistrot est situé en face d’un ensemble important de HBM (habitations bon marché) où résident de nombreux militants et sympathisants communistes. Le député communiste de l’arrondissement Jacques Grésa et le conseiller municipal du quartier Clément Magnaval tiennent leurs permanences « Chez My ». L’association « les amis de l’URSS » et la cellule 554 du PCF y organisent leurs réunions. Ainsi, Constance fait peu à peu la connaissance de quantité de membres influents du parti communiste qu’elle accueille chaleureusement dans son petit restaurant.
 
Le 3 septembre 1939, la France déclare la guerre à l’Allemagne. Le parti communiste français est interdit. Beaucoup de militants, devenus clandestins, restent de fidèles clients de « La mère My ». Pendant l’été 1941, le colonel Jules Dumont en lien avec Pierre Georges (le futur colonel Fabien) est chargé d’organiser la lutte armée des communistes contre l’armée allemande. Il loue un petit appartement situé au rez-de-chaussée du 5 avenue Debidour, tout près de « Chez My », où il installe un dépôt d’armes et un laboratoire pour la fabrication d’explosifs. Dans ce local, France Bloch-Sérazin, une jeune chimiste, met au point des bombes et remet en état les armes des FTP.
 
Le boulevard Sérurier, quartier populaire où se situe le café « Chez My ».
 
Le 20 octobre 1941, Gilbert Brustlein, membre d’un commando de militants communistes, abat à Nantes le lieutenant-colonel Karl Hotz. Dès le lendemain, il revient à Paris où il est traqué par la police française. Le 31 octobre, après l’arrestation de plusieurs membres du réseau, il retrouve Conrado Miret-Must, important responsable de la résistance et lui demande de lui trouver une planque. Miret-Must conduit Brustlein boulevard Sérurier, « Chez My », où ils rencontrent le colonel Dumont qui accepte de laisser Brustlein se réfugier dans le laboratoire du 5 avenue Debidour.
Il est formellement interdit au jeune résistant de sortir, ses repas cuisinés « chez My » étant apportés par le concierge, lui aussi membre du PCF. Mais, imprudemment, Gilbert désobéit, et se rend souvent dans le restaurant de Constance Rappeneau. Parmi les habitués du bistrot, l’agent de police Leblanc du commissariat des Lilas reconnaît Brustlein. La Brigade spéciale anticommuniste des Renseignements généraux est bientôt informée. Le commissaire David met en place un système de filature et repère rapidement le laboratoire.

Mais le 19 novembre, les journaux publient un avis de recherche où figure la photo de Brustlein. Le jeune communiste et ses contacts s’enfuient alors brusquement. Le commissaire David décide néanmoins de poursuivre la surveillance de « Chez My » pour piéger le plus possible de membres du réseau. Le 25 novembre 1941, alors que les résistants ont repéré la filature, la police procède à une rafle dans la précipitation. Dix-huit personnes sont arrêtées dans le restaurant, mais les principaux responsables sont déjà loin. Le laboratoire est découvert ainsi que de nombreux documents qui prouvent aux policiers que les communistes sont bien les organisateurs des attentats anti allemands. Des adresses malencontreusement laissées dans ces papiers permettent à la police de démanteler une partie du réseau. Parmi les dix-huit interpellés, neuf seront relâchés presque tout de suite, mais pas « La Mère My » ; la pauvre Constance est incarcérée à la prison de la Santé.  

Condamnée sans preuve à deux ans de prison, elle fait appel. Le 4 septembre 1942, elle est finalement acquittée, mais elle n’est pas libérée pour autant…

Le 22 octobre 1942, Constance Rappeneau est abandonnée aux Allemands qui l’internent au fort de Romainville, point de départ vers les camps de concentration.
 

Constance Rappeneau à la Préfecture de Police le 8 décembre 1941.
 
Le 23 janvier 1943, elle est conduite à Compiègne, au camp de Royallieu. Le lendemain, elle fait partie  des 230 femmes du convoi dit des 31000, le seul convoi de résistantes à être déportées au camp d’Auschwitz-Birkenau.
 
Constance Rappeneau photographiée à Auschwitz le 3 février 1943.
 
Le 10 février, les SS d’Auschwitz sont furieux de la défaite de l’armée allemande à Stalingrad. Ils décident de faire sortir les détenues du camp et les disposent en carré dans un champ par un froid polaire de moins 18°. Ils les laissent là, toute la journée, immobiles, sans rien boire ni manger. Certaines tombent dans la neige et meurent, d’autres tiennent le coup en tapant des pieds ou en se frottant mutuellement pour ne pas geler. A cinq heures du soir, les déportées sont ramenées à la porte. Ordre leur est donné de courir jusqu’à l’autre bout du camp entre deux haies de SS qui les frappent à coup de bâtons ou de ceinturons. Celles qui tombent ou qui ne courent pas assez vite sont saisies et jetées de côté. C’est le cas de la pauvre Constance, qui comme treize de ses infortunées codétenues est conduite au Block 25. Du Block 25, on ne sort pas vivante. Laissées quasiment sans boire ni manger, les prisonnières meurent en quelques jours avant d’être emmenées au four crématoire. Bien plus tard, son fils Roger sera averti du décès de Constance Rappeneau par un avis laconique provenant d’Auschwitz : « morte le 17 février 1943 d’une maladie de foie ».
En octobre 1993, le Maire de Domecy-sur-Cure ouvre avec curiosité un pli provenant d’Allemagne. C’est l’avis de décès de Constance provenant d’Arolsen, ville qui abrite les archives des persécutions nazies et dont l’officier d’état-civil est le seul compétent pour la constatation des décès des déportés des camps de concentration du Reich. Pour rendre hommage à cette courageuse résistante, le Conseil Municipal décide d’ajouter le nom de Constance Rappeneau sur le monument aux morts de la commune. Ainsi, les générations futures conserveront toujours la mémoire du martyr de la « mère My ».
Marc PAUTET